Victor de Broglie (1785-1870) Prospectus de la Société pour l'abolition de l'esclavage, le 15/12/1834 D'où vient que la France, à qui un ministre, M. Necker, avait, dès 1789, fait entendre des vœux si expressifs en faveur des Noirs, est restée si longtemps simple spectatrice des efforts faits en Angleterre pour leur émancipation ? Pourquoi, depuis près de vingt ans qu'elle a recouvré des colonies, a-t-elle borné ses efforts à l'abolition tardive de la traite et à l'amélioration du sort des hommes de couleur, sans rien faire pour préparer de meilleures destinées aux malheureux dont la servitude y est encore le triste et funeste héritage ? Sans doute, c'était un souvenir décourageant que celui des désastres de Saint Domingue, où tant d'imprudences et d'erreurs nées des rivalités des castes libres avaient appelé les Noirs aux armes, t que les décrets de liberté sortis tout à coup des orages de la révolution française vinssent lancer sur ce sol brûlant de nouveaux ferments de haine et de discorde ; peut-être aussi s'était il rencontré dans l'époque, et les autres stipulations des traités en exécution desquels la législature a fait cesser la traite, quelque chose qui avait blessé les susceptibilités nationales ; mais de toutes les causes d'une inertie si regrettable, à coup sûr la plus puissante fut le manque d'une société spéciale composée d'hommes qui, faisant de l'affranchissement progressif des esclaves le but exclusif et constant de leurs travaux, eussent mis à profit toutes les occasions d'éclairer la conscience publique, et d'obtenir du pouvoir des améliorations dont ils eussent démontré l'urgence et la possibilité. Telle est la raison qui nous détermine aujourd'hui à fonder une société pour l'abolition de l'esclavage. Jamais les circonstances ne furent plus opportunes ; car il ne s'agit plus seulement d'accomplir une œuvre d'humanité, mais aussi une œuvre de prudence. Signé : Président, le duc de Broglie, pair
de France
Paris, le 15 décembre 1834 |